Ordures, épaves de véhicules, chantiers anarchiques, maisons de fortune… À la Cité Xandar 2, sise à Ouest Foire, et jouxtant le mur de l’aéroport de Yoff, un cocktail explosif crée une atmosphère d’insécurité. Voleurs et trafiquants de drogue y ont pignon sur rue. Voyage au cœur d’un ghetto.
Un reportage de Babacar Guèye DIOP
Petit à petit, il étend ses tentacules putrides : rivières de ferrailles usagées, criques d’ordures sédimentées, une litanie d’épaves, vallons de déchets moisis culminant jusqu’à des kilomètres. Dans cet enfer de détritus, mécaniciens, charretiers, maçons, garagistes… cohabitent dans un cadre de vie digne d’un ghetto. Ils y trouvent au quotidien leur pitance dans des conditions de vie qui passent de l’exécrable à l’abominable. Bienvenue à Ouest Foire, précisément à la Cité Xandar 2 qui borde le mur de clôture de l’aéroport militaire Léopold Sédar Senghor. C’est un paysage de cauchemar planté dans un décor de tous les dangers : insécurité, trafic de chanvre indien, dégradation du cadre de vie…
À première vue, on détourne le regard pour réaliser un petit crochet afin d’éviter le contact avec les humains. On se bouche le nez, car l’odeur qui s’y dégage incommode. Une nuée de charretiers chargés d’immondices se disputent les ruelles poussiéreuses avec la ribambelle de véhicules garés. « Il y a une personne qui loue les lieux. C’est le propriétaire du terrain. Ces gens que vous voyez trient les ordures qui sont déposées par les charretiers sur ce terrain. Un camion les récupère pour les amener à Mbeubeuss », explique Matar Ba, chauffeur de camion, très actif.
À Ouest Foire, quartier situé dans la commune de Yoff et fondé à la fin des années 1970, les émanations de brûlis, mélangés aux déjections automobiles, font suffoquer l’étranger qui y met les pieds pour la première fois. Chantiers de maison à la pelle, rues obstruées par des travaux anarchiques, cette partie de Ouest Foire a les allures d’une masure. « On dépose les ordures sur les terrains nus parce qu’on n’a pas d’espace. Ici, les rues sont tellement exiguës que les camions d’ordures ne peuvent pas y entrer. Alors, les charretiers les récupèrent dans les maisons pour les déposer dans cet endroit. On souhaiterait avoir un espace plus grand », invite Ousmane Diop, charretier. Visage masqué pour éviter les effluves des déchets, le jeune homme précise que chaque charretier paie 200 FCfa pour que le camion prenne ses ordures.
Environnement d’insécurité
Mais, ce décor peu reluisant a ses effets sur le commun vouloir de vie commune dans ce quartier présenté comme un havre de paix à Yoff. À Xandar 2, l’une des 54 cités de Ouest Foire, la scorie humaine tient son milieu interlope : reliques, rebuts, trublions, voleurs, trafiquants de drogue, chômeurs, laissés pour compte sans oublier ses ivrognes incurables. Regard éteint devant ce spectacle bourré d’immondices, Ousseynou Thiaw, vendeur de pièces détachées, désigne les responsables. « Il y a chaque jour des cas de vol. Nous ne sommes pas en sécurité. Les ‘’boudioumans’’ (récupérateurs) volent nos radiateurs, nos fils de voiture, nos batteries. Ce sont les camions d’ordures qui créent l’insécurité, parce qu’il y a tout un tas de personnes qui gravitent autour. Des voleurs, des agresseurs, des trafiquants de chanvre indien », souligne M. Thiaw, également président de l’Association des artisans automobiles.
Dans cette anarchie, viennent se greffer des maisons de fortune décrépites, des amas de détritus qui essaiment, faute de décharges publiques. Des cabanes dignes de bidonvilles qui voient le jour par dizaines, selon les autochtones. À l’intérieur, il y a des visages fermés sur lesquels on peut lire, comme un livre ouvert, la lassitude, l’anxiété d’être déguerpis un jour, le chiendent. La misère suinte donc de partout pour ces personnes de nationalité étrangère établies sur des terrains nus. Grâce à des matières comme le zinc et le bois, elles parviennent à se procurer un toit. « Nous n’avons pas où aller », glisse un vieux en serviette. Et le cadre de vie se détériore au jour le jour.
MOUSTAPHA NIANG, DÉLÉGUÉ DE QUARTIER DE LA CITÉ DE XANDAR 2
« On a retrouvé dans ces ordures 5 bébés sans vie »
Quel est l’état des lieux à la Cité Xandar 2 ?
C’est une situation invraisemblable. Ceux qui habitent ici sont à bout de nerfs. Hier, une délégation, composée d’habitants de la Cité, est venue me voir pour dire que je ne les aide pas. Mais, je leur ai expliqué que ce combat n’est pas seulement celui du délégué de quartier. Il faut une volonté de l’État. Il y a une forme de négligence. Au-delà des mécaniciens, les ordures constituent notre plus grand problème. On a retrouvé dans ces ordures 5 bébés sans vie au cours des 3 dernières années. Lorsqu’on les a récupérés, la gendarmerie a arrêté les charretiers pour mener des enquêtes. Je me rappelle qu’une étudiante de l’Université de Dakar a été arrêtée, car c’est la mère d’un des bébés. Le dernier cas d’un bébé retrouvé dans les ordures ne date même pas de 3 mois. Ceux qui habitent ici, on ne les connaît pas assez. Ils viennent mettre des cases pour habiter. C’est un lieu où il y a un intense trafic de chanvre indien. Les ivrognes ont pignon sur rue dans cette zone. J’ai écrit au Préfet et au Sous-préfet. Mieux, nous nous sommes déplacés pour voir ces autorités et leur décrire la situation qui prévaut dans cette cité. La gendarmerie environnementale nous a aussi reçus. Le banditisme est omniprésent dans cet endroit. Maintenant, il y a des cambriolages, des agressions en plein jour. On parlait de la « Cité Imbéciles ». Mais ce qui se passe ici est plus grave.
À ce rythme, est-on en train de voir une nouvelle décharge des ordures à l’image de Mbeubeuss ?
Est-ce que Mbeubeuss n’est pas mieux lotie ? À ce que je sache, à Mbeubeuss, les choses sont organisées. Ici, c’est l’anarchie totale. Beaucoup de charretiers sont des voleurs la nuit. Pourtant, à la mairie de Dakar, l’actuelle équipe municipale avait promis la fin des charrettes dans la capitale. On attend toujours. On veut que des hommes de tenues fassent la ronde en permanence. En plus, il y a beaucoup de constructions sur le canal des eaux usées de Ouest Foire. Je fais tout le temps des alertes à la Dscos, à la gendarmerie de la Foire. En tant que délégué de quartier, mes pouvoirs sont limités. Je ne peux pas régler ce problème.
Est-ce que vous constatez également des maisons de fortune avec leurs occupants ?
Ce sont des personnes de nationalité étrangère. Elles viennent occuper illégalement un terrain d’autrui avec des cases. Un ami court depuis 6 mois pour que ces gens quittent son terrain. Dans un pays, tous les étrangers doivent être connus. Aux États-Unis, en Allemagne ou en Italie, l’étranger paie le séjour. Pourquoi on ne le fait pas au Sénégal ?
Propos recueillis par B. G. DIOP
Source : https://lesoleil.sn/depotoir-dordures-a-ouest-foir...